Harald Theil est historien d'art, spécialiste des dessins et des céramiques de Picasso et d'art contemporain. Co-fondateur de l'association Fantom, il a été à l'initiative de nombreuses expositions et manifestations d'art contemporain en France et à l'étranger. Harald Theil (contact) «Il ne suffit pas de connaître les œuvres d’un artiste. Il faut aussi savoir quand il les faisait, pourquoi, comment, dans quelles circonstances. Sans doute existera-t-il un jour une science, que l’on appellera peut-être ‘la science de l’homme’, qui cherchera à pénétrer plus avant l’homme à travers l’homme créateur [...]. Voilà pourquoi je date tout ce que je fais.» Rien n’est plus difficile que de définir l’art et le temps. Pourtant l’homme en fait l’expérience et en subit fortement les effets. Il est presque aussi difficile de cerner la créativité humaine. Dans les temps anciens on la croyait d’inspiration divine ou bien le don d’un démiurge détenant le secret de l’art combinatoire. Plus près de nous on la concevait plutôt comme quelque chose d’énigmatique montant des profondeurs du psychisme. Au vingtième siècle, après l’invention de la photographie et du cinéma, la question de la créativité humaine fut de plus en plus mise en avant, puisqu’il ne s’agissait plus pour la peinture de représenter la réalité de façon mimétique mais de rechercher de manière critique les conditions du surgissement de l’art et d’étudier son mode de fonctionnement. Plus on progressait dans ce type de questionnement avec les moyens plastiques de l’art même, plus le point capital se déplaçait de la question de l’art en tant qu’outil de réprésentation, en faveur de l’art comme illustration de la créativité humaine. Ainsi l’action artistique se diversifiait, pour devenir surtout un moyen de connaissance. La relation entre la vie et l‘art y gagnait beaucoup en importance. Après une activité d’artiste et de professeur d’art exercée pendant plus que quinze ans, Alain Simon s’interroge, en avril 1997, sur les conditions de sa propre démarche artistique et plus particulièrement sur les relations de dépendance de la création au temps en tant que «vécu». Une rencontre déterminante avec le philosophe P.M.P (Pierre Plumerey), auteur des «idées du jour», le décide à se lancer dans l’aventure d’une réflexion sur le rôle et le sens du dessin dans la vie de tous les jours. Alain Simon choisit le dessin parce qu’il lui semble être le plus adapté à traduire directement et simplement les idées et les sensations liées à ce qu’il voit, pense et ressent à un moment donné. Le dessin matérialise la trace du vécu et prolonge la pensée. Semblable à un scientifique il établit d’abord les règles du dispositif : il divise une feuille de papier de format 56 x 76 cm en sept parties correspondant aux sept jours de la semaine, six espaces identiques pour les jours de la semaine et un double espace pour le dessin du dimanche. Il engage «l’expérience» par un premier dessin le lundi puis, chaque jour, en réalise un dans l’espace préparé à son intention et ainsi de suite jusqu’au dimanche, dotant chaque dessin d’une date et d‘une légende. La feuille, ou «semaine», ainsi achevée sera ensuite fixée avec des épingles dans un caisson en bois et mise sous verre comme une collection de papillons dans un musée d’histoire naturelle. Par conséquent, Alain Simon transforme l’activité artistique en outil de connaissance de lui-même, son atelier en une sorte de laboratoire et sa vie en une vitrine vers l’extérieur. Le défi, initialement lancé pour une durée de quelques mois comme une simple exploration plastique d’une attitude au jour le jour, devient au fil des ans l’essentiel de l’œuvre sous la forme d‘un «work in progress» quotidien. La pratique du dessin quotidien permet à l’artiste de marquer et d’accompagner les questionnements et les remises en question, voire les ruptures du processus. La richesse et la diversité des techniques maniées avec une grande expérience, au-delà de leurs fins esthétiques qui donnent aux «semaines» d’Alain Simon leur rythme et leur équilibre si caractéristiques, constituent un véritable alphabet personnel d’un langage propre au journal vécu. Ce langage plastique en perpétuelle évolution fonctionne par une interaction étroite entre forme et technique. Il s’appuie également sur des métaphores en adéquation avec l’idée à exprimer ou les émotions du moment de l’artiste : La perspective d’enrichir les correspondances de façon exponentielle et de tisser une véritable toile de relations entre les différentes «semaines» est le point fort du concept de présentation des œuvres dans cette exposition. L’idée est de présenter dans un seul espace un choix aléatoire de 52 semaines issues de l’ensemble des dessins du jour. La disposition des dessins brouille donc les repères habituels sur le temps, ne représentant pas l’art d’une année mais bien une année d’art. Une fois les «semaines» libérées de la dictature linéaire de la chronologie et de leur statut de journal intime, le spectateur a la possibilité de suivre ses propres choix et d’imaginer un parcours personnel à l’intérieur de l’exposition. Il saisira mieux les constantes, les variations et les reprises de cette œuvre, comme par exemple les structures circulaires de la plupart des dessins réalisés le dimanche, les jeux de mots nombreux et intelligents ainsi que leurs pendants visuels, véritables «jeux d’images» au niveau sémantique. Il se rendra compte de la perpétuelle remise en question de l’artiste, de ses clins d’œil sensibles à la réalité politique et de son dialogue poursuivi tout au long des années avec les œuvres d’autres artistes prédécesseurs, comme Cranach, Dürer, Rembrandt, Rubens, Alechinsky, Basquiat, Beuys et autres. Ce qui frappe surtout, c‘est l’unité de cette œuvre, conçue initialement comme exploration des relations de dépendance de la création au temps, une unité qui se révèle d’autant plus qu’on la regarde sous une perspective non chronologique. On le voit, par la linéarité qui lui est propre, le temps disperse les éléments destinés à former l’image mosaique d’une personnalité d’artiste. Unité, il y a également avec l’œuvre précédente d’Alain Simon : on retrouve sa prédilection pour le système, pour le cadre bien défini dans lequel se manifeste la production artistique, la règle du jeu, l’équilibre entre concept et expression, un langage pictural qui fait appel à parts égales à la sensibilité et à l’intellect, l’expression de l’éphémère dans l’acte créateur (papier peints comme support de peinture, assemblages provisoires de peintures, réalisations in situ), dans la négation du tableau isolé et la préférence pour des «familles d‘images» (duos et diptyques, réunions d‘images-dominos bipolaires, assemblages de papiers peints et d’objets habillés de papiers peints etc.), dans l’humour et l‘autodérision mais surtout dans l’étroite liaison existante entre art et vie. En partageant avec nous son «expérience courageuse» Alain Simon apporte un témoignage non négligable à la future «science de l’homme».
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